Le 14 mai dernier, un petit comité de financiers de haut vol
inaugurait en grande pompe une nouvelle banque à Juba, la capitale du
Soudan du Sud. Sous les applaudissements de quelques investisseurs
étrangers et nationaux, Dominique Strauss-Kahn illustrait son retour aux
affaires par un discours de bienvenue à la toute jeune National Credit
Bank. «
Ce n’est pas une banque venue de l’étranger, ce sera l’une de vos banques et c’est important pour votre pays », assurait alors l’ancien patron du FMI.
Invité comme «
consultant financier indépendant », DSK a été
mis en avant afin d’attirer le regard des Occidentaux. Il faut
convaincre du potentiel économique du Soudan du Sud. Parmi les
actionnaires de cette nouvelle banque, on trouve des natifs du pays,
mais aussi des étrangers, parmi lesquels la société de gestion d’actifs
Assya Asset Management (AAM), gros actionnaire minoritaire de cette nouvelle banque, dont on ne connaît pas le détail de la capitalisation.
Pour cette occasion, le principal actionnaire d’Anatevka, maison mère
d’AAM basée au Luxembourg, décrypte les enjeux de cette présence à
Juba. Thierry Leyne explique ainsi «
l’occasion rêvée » qu’est
la création d’un nouvel Etat. Dans le Soudan du Sud, né le 9 juillet
2011, tout est à faire : infrastructures, développement d’une économie
locale, nationale, régionale, mais surtout d’un système bancaire et
financier. «
On en revient aux fondamentaux d’il y a cent ans », se félicite Thierry Leyne, enthousiaste.
«
Ce sont des gens qui achètent des tickets de loterie », estime de son côté l’historien Gérard Prunier,
spécialiste de la Corne de l’Afrique. «
Ils viennent pour faire un coup et récupérer l’argent qui circule. »
Pour lui, la situation sécuritaire au Soudan du Sud est si
catastrophique que les investissements restent suicidaires. Il évalue
les pertes du gouvernement en place à quelque sept milliards de dollars,
détournés ou gaspillés.
Petites affaires entre bons amis
Si le groupe d’investissement luxembourgeois s’intéresse au Soudan du
Sud, ce serait avant tout une histoire d’hommes. Voilà des années de
cela, son fondateur a rencontré à Londres des expatriés sud-soudanais
travaillant dans la finance, Abdelkarim Isai et Dawd Abate. Lorsque
ceux-ci sont revenus dans leur pays pour participer à sa construction,
ils se sont très naturellement tournés vers leur ancien ami pour obtenir
de bons conseils.
Ces discussions ont amené les connaissances à devenir partenaires
d’affaires, le cercle s’élargissant rapidement à DSK : un ancien patron
du FMI, ce doit être rassurant pour les investisseurs. Le pays présente
un fort potentiel de croissance économique qui attire déjà d’importants
groupes asiatiques, notamment dans le secteur pétrolier.
La National Credit Bank espère capter des marchés auprès des investisseurs, mais aussi sur le territoire : «
Il
s’agit de convaincre à l’étranger. Mais nous voulons aussi inviter les
Sud-Soudanais à venir déposer leurs salaires à la banque », admet Thierry Leyne.
Juba peut en effet miser sur d’importantes potentialités. Son
économie, très exposée, repose pour l’instant sur le pétrole, dont le
pays tire 98 % de ses recettes. Il espère pouvoir profiter des
investissements dans les infrastructures menés par les exploitants de
l’or noir pour développer d’autres activités.
Le Soudan du Sud est particulièrement riche en matières premières :
du pétrole, certes, mais aussi des forêts, des minerais et des zones à
fort potentiel hydroélectrique. L’agriculture à elle seule représente
une ressource inestimable : 90 % du sol est cultivable, dont la moitié
composée de terres de première qualité, presque inexploitées à l’heure
actuelle.
Reconversion de mercenaires
Ce potentiel, nos financiers européens ne sont pas les seuls à
l’avoir remarqué. Une autre personnalité cultive depuis de nombreuses
années des relations ambigües avec le Soudan : Erik Prince. Le fondateur
de la société militaire privée Blackwater,
controversée pour ses méthodes musclées, notamment en Irak,
s’est reconverti dans le conseil après avoir revendu sa compagnie. Basé
depuis 2010 à Abu Dhabi, il lance une nouvelle entreprise,
Frontier Ressource Group,
pour faire commerce de ses bonnes idées sur la gestion du risque dans
certains pays : Somalie, République démocratique du Congo et Soudan du
Sud.
Gardant ses bonnes habitudes, cet ancien Navy Seal (une unité de
commandos d’élite de l’armée américaine) puise chez d’anciens marines le
gros de sa troupe. Il s’entoure d’un spécialiste des matières
premières, Gregg Smith, passé par la 2nd Marine Divison, et le géant de
l’audit financier Deloitte. Il récupère aussi Paul Habenicht, un ancien
chef d’unité sniper en Afghanistan et en Irak. Enfin, il débauche chez
la société militaire privée Saladin un jeune prodige sorti de la
prestigieuse université de Georgetown (US), Rachel Braun, spécialiste du
lobbying pétrolier et du Sud-Soudan.
Miser sur le pétrole pour planter du maïs
Ce commando de choc du consulting semble idéal pour conseiller un
investisseur sur un marché risqué comme le Soudan du Sud. Client de
choix pour Frontier Ressource Group : Pékin. La Chine, mais aussi la
Malaisie et l’Inde, est en première ligne des investissements au Soudan
du Sud. Leurs compagnies pétrolières nationales (CNPC, Sinopec, Petronas
et ONGC) s’attèlent à l’extraction quotidienne de 200 à 350 000 barils –
lorsque les relations avec Khartoum le permettent – qui assurent la
survie de Juba. Des investisseurs qui sécurisent leurs ressources
énergétiques, mais aussi alimentaires : tous trois figurent parmi les
principaux locataires et acheteurs de terres arables en Afrique.
Les compagnies asiatiques ont une approche du risque différente des
sociétés occidentales. Malgré la situation explosive du Soudan du Sud,
elles n’hésitent pas à investir ce marché à fort potentiel. Car si Juba
ne fait pas office de grande puissance pétrolière mondiale, elle
pourrait s’imposer comme un exportateur conséquent sur le long terme.
L’insécurité du pays a en effet limité son exploration géologique :
certains s’attendent à découvrir d’importantes ressources pétrolières
non encore dévoilées.
Francis Perrin, consultant sur l’énergie et les matières premières,
remarque que les investissements dans le secteur pétrolier peuvent avoir
des retombées positives pour le pays. «
La question des infrastructures est importante : il faut des routes et des aéroports pour acheminer du personnel, du matériel », explique-t-il. C’est d’ailleurs ce qui pourrait expliquer l’intérêt d’Occidentaux pour une banque sud-soudanaise : «
Il n’y a pas d’économie qui fonctionne sans un système bancaire et financier qui fonctionne. »
Dans cette course au pétrole, les Occidentaux ont pourtant déserté le
territoire soudanais dans les années quatre-vingt. Trop risqué, trop
instable. Ou presque : Total reste à la tête d’un consortium qui est
détenteur des autorisations pour explorer un bloc de
120 000 km². Si le niveau d’insécurité diminuait, le pétrolier
français pourrait de nouveau envisager d’investir au Soudan du Sud.
Reste à savoir si l’enthousiasme de Dominique Strauss-Kahn sera
contagieux.
Par RFI